Arrêtez tout ! Fidélisez.
Dans ce premier épisode de Ciblé·e·s 🎯, je vous conseille quelques actions concrètes pour fidéliser le public d'un lieu. Et je lance même une idée un peu dingue.
Kaixo* chers lecteurs et lectrices,
Bienvenue dans la toute première édition de Ciblé·e·s 🎯. Vous êtes un peu spéciaux puisque vous êtes les premiers lecteurs de cette newsletter : merci d’avoir eu la curiosité de vous inscrire ! 💌
*Kaixo = Salut en basque
Demandez l’programme !
Et si on arrêtait de courir ?
Mais pourquoi diable s’est-on concentré sur les nouveaux publics ?
Pourquoi fidéliser est stratégique (et urgent)
La fidélisation comme parcours relationnel
Vous débutez ? 3 idées concrètes à mettre en place avec les primo-visiteurs
Vous avez déjà une base solide ? Quelques idées pour aller plus loin
Un exemple inspirant
L’Apollinoscope
Offres d’emploi
Et si on arrêtait de courir ?
Depuis que je travaille dans le secteur culturel, j’observe une débauche d’énergie inouie pour faire venir de "nouveaux publics". Les jeunes, les familles, les publics dits “éloignés”, les actifs… C'est une obsession structurante : aller chercher en continu le public le plus divers possible.
C'est évidemment stratégique, nécessaire, louable. Mais une fois la première visite passée, que met-on en place pour créer un lien durable ? Trop souvent : rien.
Les bases de données des lieux culturels et sportifs là pour le prouver : on y constate des taux élévés de publics venus une fois, et qui se sont ensuite évanouis dans la nature.
Dans un contexte où les ressources sont limitées, les subventions taillées à la tronçonneuse, où la pression sur les taux de remplissage est forte, la fidélisation n’est plus une option — c’est un levier nécessaire.
Mon propose aujourd’hui est le suivant : je suis convaincue qu’avant de se demander “comment attirer”, il faut se demander “comment faire revenir”.
Mais, pourquoi diable s’est-on concentré sur le développement des nouveaux publics ?
Historiquement, les politiques culturelles françaises ont mis l'accent sur la démocratisation culturelle : il s’agissait d’ouvrir l’accès à la culture au plus grand nombre. Cette ambition noble s’est traduite dans les années 1980 et 1990 par une course aux publics, souvent mesurée par des indicateurs quantitatifs.
Ils ont TOUS insisté : la culture c’est pour TOUT le monde. Et voici un florilège de citations qui l’illustre bien.
"La vocation des maisons de la culture est de permettre à tous les Français d’avoir accès aux œuvres capitales de l’humanité."
André Malraux, Discours de 1966, à l'inauguration de la maison de la culture de Caen.
"La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Elle doit s’adresser à tous."
Jack Lang, Ministère de la Culture.
"Il n’y a pas de culture sans public. Et ce public doit être le plus large possible."
Jean Vilar, Fondateur du Festival d’Avignon.
Vous avez pensé “blablabla” en lisant ?
Vous avez un peu raison : la démocratisation culturelle totale, c’est une quête noble. Aussi noble que ce que poursuit le héros d’un conte : une belle histoire pas toujours très réaliste.
Et cette histoire a été largement diffusée :
- par les prises de paroles politiques
- par la formation des acteurs du secteur
- par les organigrammes des structures culturelles
- par les reportings et les indicateurs suivis qui incitent à se concentrer sur le haut du tunnel avec des indicateurs quantitatifs (fréquentation totale, taux de remplissage, type de public, répartition territoriale…).
Pourquoi fidéliser est stratégique (et urgent)
Le développement des publics ne s’arrête pas à l’entrée. Il se joue dans la construction d’un lien durable et d’une expérience mémorable.
Fidéliser, ce n’est une pas une pratique de “marketeux véreux”. Alors oui, ça fait penser carte de fidélité, abonnement, stratégie de rétention… Et dans la culture, parfois, ce qui est “marketing”…c’est “pas pour nous”.
Mais NON. Fidéliser c’est simplement essentiel pour ancrer une activité dans un avenir pérenne.
Si on caricature un peu : développer de nouveaux publics (si on ne fait que ça), c’est la vision de court terme. Fidéliser c’est la vision de long terme.
Fidéliser c’est :
Optimiser l’impact des efforts d'acquisition : un primo-visiteur fidélisé, c'est de l'argent mieux investi. Le coût d’acquisition d’un nouveau visiteur est 5 à 25 fois plus élevé que celui de la fidélisation d’un visiteur existant (📖 The value of keeping the right customers, Harvard Business Review).
Stabiliser sa billetterie et développer des recettes d’avance : une part prévisible de publics récurrents, ça apporte de la sérénité dans la gestion du quotidien.
Créer de la valeur relationnelle : des personnes qui adhérent à votre voix, vos valeurs, votre programmation, sont autant de personnes qui vont aussi la porter et développer votre audience à leur tour.
Mais concrètement, par où commencer ? Et comment progresser ?
La fidélisation comme parcours relationnel
Lorsqu’on lance une démarche de fidélisation, on s’intéresse souvent aux données et on commence par les utiliser pour segmenter. On peut segmenter selon des critères socio-démographiques, selon des habitudes d’achat, des préférences esthétiques mais pour être efficace il faut idéalement commencer par segmenter par niveau d’engagement.
L'idée n'est pas seulement de "connaître" ses publics, mais de reconnaître leur niveau d'engagement et de construire des parcours adaptés :
Le non-public curieux : il est dans votre environnement digital, il fait un premier pas vers vous, par exemple en s’abonnant à votre newsletter.
Le primo-visiteur : il vient une fois sans que vous sachiez ce qui déclenche sa visite (curiosité, recommandation, événement très ciblé ?)
Le visiteur récurrent : il revient, mais reste peut-être encore détaché. Il vient chez vous, il va ailleurs, au gré des propositions.
Le fidèle : il vous suit, il s'attache, il reconnaît une ligne, une voix, des valeurs.
L'ambassadeur : il est chez vous comme chez lui, il partage, emmène, participe, incarne.
Les dernières étapes de la pyramide peuvent aussi être associées à des comportements spécifiques de fidélisation : l’abonné, le mécène, le grand donateur.
Cette stratégie qui consiste à se focaliser sur la fidélisation du public en identifiant des segments par niveau d’engagement, a été théorisée notamment par Aubrey Bergauer, ancienne CEO du California Symphony dans différentes publications et notamment cet article en anglais The Long Haul Model. Elle y annonce des résultats effarants avec notamment une hausse de revenus de + 140% suite au changement d’une approche centrée sur le développement de nouveaux publics à une approche centrée sur la fidélisation.
Cette réflexion nous pousse à repenser nos objectifs et les indicateurs suivis : il ne s’agit plus seulement de faire grossir la base, mais de faire progresser les individus dans une relation.
👉 Exemples d’indicateurs traditionnels dans une approche de développement :
nombre de billets vendus chaque année
répartition par âge ou par territoire
taille de la base de données
nombre de visiteurs du site internet ou de campagnes envoyées
👉 Exemples d’indicateurs à suivre dans une approche de fidélisation
nombre de primo-publics qui reviennent
nombre d’individus engagés dans 3 actions ou plus sur une saison
taux de conversion vers l’abonnement ou les programmes de fidélité
taux de renouvellement de l’abonnement
Vous débutez ? 3 idées concrètes à mettre en place avec les primo-visiteurs
1. Soigner l'après première fois
Envoyez un message le lendemain de la première visite. Pas nécessairement une recommandation immédiate pour un autre événement. Ça peut-être un remerciement, ou une enquête post-visite courte, sans enjeu immédiat. Juste pour comprendre : Comment avez-vous vécu cette première fois ? Vous montrez que vous écoutez et vous tissez déjà un lien.
Pourquoi ça marche ? Parce que le souvenir de la première expérience est encore chaud. Et que beaucoup de primo-visiteurs hésitent à revenir simplement parce qu'ils n'ont pas encore compris le fonctionnement et les codes. En montrant que leur avis compte, vous les rassurez.
2. Relancez… au bon moment, pas dans le vide
Tout le monde relance… mais souvent trop tôt, de façon générique, ou trop “pushy.”
Attendez 2 ou 3 mois après une première venue, et si la personne n’est pas revenue, envoyez un message qui joue sur le souvenir, l’émotion, la reconnaissance.
Pas une promo sèche, mais un clin d’oeil : “On se souvient de votre première visite. Et vous, vous vous souvenez de nous ? Voici ce qu’on aimerait vous faire découvrir maintenant.”
Pourquoi ça marche ? Parce qu’il faut rester “top of mind” pour un public encore flottant. Et qu’un simple message bien placé peut raviver un souvenir positif, lever une hésitation, recréer une envie (= “tiens, je me ferais bien une expo ce week-end !”).
3. Proposez vos dispositifs de fidélisation… au bon moment
L’erreur classique ? Envoyer la même campagne d’abonnement à tout le monde, au même moment. Alors c’est souvent plus simple pour vous. Mais ce n’est pas toujours le bon tempo pour eux. Un visiteur qui vient pour la première fois n’est pas prêt à s’abonner. Celui qui vient pour la troisième fois, oui.
Si vous me connaissez, vous me voyez venir avec mes gros sabots, car une image vaut mille mots : proposer un abonnement à un public qui vous découvre à peine, c’est un peu comme faire une demande en mariage juste après la première rencontre. En language millenial c’est grave CRINGE.
Créez des parcours qui s’adaptent au niveau d’engagement :
→ Un abonnement ou une carte d’adhésion proposé à la troisième visite,
→ Une invitation ciblée quand une personne revient pour un 2e spectacle,
→ Un avantage personnalisé déclenché automatiquement au bon moment.
Pourquoi ça marche ? Parce que la fidélisation, c’est du rythme. Si possible, proposez des formules souples, accessibles à tout moment, et déclenchées quand le public est prêt, pas quand votre calendrier l’impose.
Vous avez déjà une base solide ? Quelques idées pour aller plus loin
1. Déployez une vraie stratégie relationnelle — selon les profils d’engagements
Une stratégie de fidélisation, c’est un parcours relationnel pour chaque type d’engagement.
Un primo-visiteur ? Tout ce qui est indiqué ci-dessus fonctionne.
Un régulier ? Un petit avantage surprise.
Un fidèle ? Une reconnaissance explicite.
Automatiser certains envois, oui — mais n’oubliez pas les gestes humains avec les profils très engagés (comme les mécènes) : une invitation personnelle, un appel, un mot manuscrit glissé dans l’envoi de la brochure…
2. Allez encore plus loin avec un modèle de scoring
Le scoring relationnel consiste à attribuer une note à chaque contact selon son niveau d’engagement (fréquence, récence, montant, diversité des visites...). Il permet de prioriser vos actions, d’adapter vos messages et de mieux détecter les publics à risque ou à fort potentiel.
Un bon point de départ : le modèle RFM (Récence, Fréquence, Montant) :
Récence : quand est-il venu pour la dernière fois ?
Fréquence : à quel rythme revient-il ?
Montant : combien a-t-il dépensé, en moyenne ?
Ces trois indicateurs vous donnent un profil d’engagement clair, permettent de prioriser vos actions et de personnaliser vos messages.
C’est déjà une stratégie un peu plus mature en marketing, mais pas besoin d’une usine à gaz : une fois qu’on a identifié les critères qui déclenchent des points, on peut automatiser l’entrée des contacts dans des segments et définir des actions dédiées (“à choyer” / “à intéresser à d’autres offres” / “à relancer” / “à réactiver”).
3. Faites vivre la relation… entre deux venues
La fidélité ne se joue pas seulement sur place. Elle se construit entre deux visites. Comment ? En continuant à nourrir le lien, à créer de la valeur, en dehors de la billetterie.
Une application dédiée ou une plateforme d’engagement peut devenir un espace à part : vidéos exclusives, contenus “coulisses”, interviews, bonus, recommandations personnalisées... Le modèle est là : les clubs sportifs l’ont compris avec leurs apps fan, où l’on peut vivre le club au quotidien, pas seulement les jours de match.
Dans le secteur culturel, pourquoi ne pas imaginer un espace dédié à vos publics engagés ? Un lieu numérique où l’on retrouve les grandes voix de la saison, des podcasts, des jeux, des sondages, des infos coulisses… C’est par exemple l’idée qu’on retrouve derrière la plateforme Paris Musées Explore et qui pourrait être poussée plus loin avec une application mobile ou des parcours de médiation digitales guidées et automatisés par exemple.
La relation ne se résume pas à un acte d’achat. Elle se construit dans l’attention continue. Une bonne plateforme, même simple, fait exister votre projet culturel entre deux dates sur un agenda.
Un exemple inspirant : le Théâtre des Célestins
Ce théâtre a mis en place un soin particulier pour les primo-spectateurs :
Après le premier achat : un email personnalisé avec un court questionnaire pour comprendre la motivation de la venue (📖 3 mécaniques pour fidéliser le public - Arenametrix)
Après la venue : un email automatisé pour savoir si tout s’est bien passé.
Puis une série de messages pour mieux faire connaître la programmation et inviter à un retour ciblé.
Résultat ? Une relation mieux engagée dès les premiers contacts.
Une idée un peu folle
C’est quand j’ai pris à un abonnement à ma lessive que je me suis vraiment rendue compte que j’étais allée trop loin l’abonnement avait envahi nos vies. J’ai arrêté depuis (mon côté “testeuse de concepts”), mais force est de constater que téléphone, internet, médias, lessive, mutuelle du chien, Netflix, Amazon, Spotify : TOUT est sujet à abonnement.
Et à part le point commun d’un prélévement mensuel, vous en avez remarqué un autre ? Sauf à décider se se désabonner, on est abonné à vie. La reconduction est tacite.
À l’inverse, dans les lieux culturels et sportifs, on est souvent abonné à la saison ou pour un an maximum. Une fois la date d’échéance arrivée, le public doit recommencer toute la démarche d’adhésion (ce qui est parfois PÉNIBLE).
Pourquoi ne simplifierait-on pas la vie des publics fidèles (et contents de l’être) avec des formules de fidélisation sans date de fin (mais résiliation facile) ? Chiche de lancer la première carte d’adhésion avec reconduction tacite ?
La réaction de vos publics pourrait être bien plus positive que ce que vous ne pensez. C’est une idée partagée par Aubrey Bergaeur dans son livre Run it Like a Business et déjà testée dans certains orchestres américains.
L’Apollinoscope
Parce qu’avant d’être une professionnelle du marketing des lieux, je suis avant tout passionnée par la culture et le sport en tant que public, je vous partage ici mes dernières découvertes.
Théâtre
C’est pas nouveau, mais ça repasse. Il y a deux ans, j’ai vu La Tendresse, mise en scène par Julie Berès. Une bande de jeunes hommes sur scène, qui racontent ce que veut dire "être un mec" à l’heure de la déconstruction et des masculinités toxiques. C'est drôle, brut, ultra bien joué. Si vous êtes à Paris, ça rejoue jusqu’au 15 juin aux Bouffes. Courrez-y et emmenez vos ados ou ceux des autres.
Littérature
J’ai dévoré La Fête au Bouc de Mario Varga Llosa. Une plongée saisissante dans les derniers jours de la dictature de Rafael Trujillo en République dominicaine, entre terreur politique et violence intime. Je ne savais plus ce qui était fiction et ce qui était Histoire, j’ai refermé mon livre les larmes aux yeux, en oubliant complétement que j’étais en France, dans un pays démocratique, dans un TGV bondé Hendaye - Paris.
Musique
Voici le son que j’écoute en boucle en ce moment. J’ai découvert ce groupe par hasard en allant à un concert au Pop Up du Label à Paris. J’adore les concerts dont on attend rien mais d’où on repart avec plein de nouveautés sur sa playlist.
Sport
Le mois dernier, je me suis fascinée pour l’Hyrox qui a envahi mes réseaux sociaux. Si vous êtes passé à côté du phénomène dont toute la sphère “fitness” parle, c’est un mélange de crossfit et de course à pied, mise en scène lors de compétitions d’une intensité rare. Cauchemar ultime pour certains, sport spectacle et dépassement de soi pour d’autres : la dernière épreuve française a eu lieu sous la nef du Grand Palais. Une manière de permettre au grand public se prendre pendant quelques heures pour des athlètes olympiques !
Offres d'emploi
Chaque mois, j’essaierai de vous partager ici les offres d’emploi en lien avec le développement des publics et des revenus. Si vous avez une offre à partager, envoyez-là moi directement !
Chef·fe de service développement et partenariats - musée d’art moderne de Paris
Chargé·e de communication et des médias digitaux - Opéra Orchestre Rouen Normandie.
Responsable communication et mécénat - Jeu de Paume
Responsable du pôle communications, mécénat et relations publiques - Centre Pompidou-Metz
Responsable du service mécénat et relations institutionnelles - Institut de France - Domaine de Chantilly
Chargé·e des privatisations - Musée national de la Marine
Chargé·e de communication et de marketing digital - Madame Arthur
Chargé·e de projets marketing - Bataclan - Paris Entertainment Society
Merci de m’avoir lue jusqu’ici 💌
C’était une toute première édition, vos suggestions sont les bienvenues !
Et n’hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé du format dans le sondage ci-dessous ⬇️.
À bientôt !
Apolline